La professeure Marie Dumont, de l’UdeM, lance un outil en ligne gratuit destiné aux travailleurs de nuit pour les aider à mieux gérer leur sommeil. Il repose sur ses 30 ans de recherche sur le sujet.
Plus du tiers de la population active au Québec – une personne sur trois! – travaille de nuit ou selon un horaire qui la chevauche; ces salariés sont nombreux à éprouver des difficultés à bien dormir ou à souffrir d’insomnie. Or, ils ne disposent que de peu de moyens reposant sur la science pour améliorer la qualité de leur sommeil.
À quelques semaines de la retraite, la professeure et chercheuse Marie Dumont fait un legs important issu des recherches qu’elle a menées au cours des 30 dernières années: elle lance «Mieux vivre le travail de nuit», un outil interactif en ligne visant à faciliter la récupération des travailleurs de nuit en fonction de leur situation personnelle.
Un outil basé sur des connaissances scientifiques
Accessible gratuitement, «Mieux vivre le travail de nuit» comprend quatre modules que l’usager peut parcourir à son rythme. «Basé sur des connaissances scientifiques plutôt que sur des opinions comme c’est souvent le cas sur Internet, il propose également plusieurs ressources et références qui permettront à ceux qui le désirent d’aller plus loin», indique Marie Dumont, qui est professeure au Département de psychiatrie et d’addictologie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.
Le premier module permet d’évaluer l’effet du travail de nuit sur la personne, tandis que, dans le deuxième, elle apprend à connaître son cycle du sommeil. Le troisième module aide à désigner les obstacles à un bon sommeil et le dernier à choisir ses stratégies pour mieux vivre le travail de nuit.
«Ainsi, l’outil se veut à la fois interactif et adapté à la réalité de chacun pour que le travailleur puisse prendre son sommeil en main et à sa façon: les notes qu’il intègre à son carnet personnalisé lui permettent de mieux comprendre sa situation et de moduler les stratégies qui lui conviennent», poursuit Mme Dumont. À noter que le carnet personnalisé est confidentiel, puisqu’aucune information n’est enregistrée ni conservée par l’outil en ligne.
La spécialiste de la compréhension de l’horloge biologique ajoute que l’outil qu’elle a créé a été testé auprès de travailleurs de nuit, qui l’ont évalué favorablement. La plupart ont rapporté que le plan d’action proposé était réaliste et donnait envie de l’essayer. «L’une des choses les plus importantes, lorsqu’on cherche à modifier ses habitudes de vie, c’est d’y aller graduellement, recommande-t-elle. Si l’on essaie de tout changer en même temps, on risque de ne pas y parvenir.»
Travail de nuit: des effets potentiellement néfastes sur la santé
Si les travailleurs de nuit ne vivent pas tous des problèmes associés à leur horaire de travail, ils courent un risque plus élevé que la majorité de la population active de subir des inconvénients liés au manque de sommeil et aux perturbations de leur horloge biologique.
«Un travailleur de nuit dans la vingtaine ressent moins les effets du manque de sommeil que celui qui est dans la quarantaine, fait observer Mme Dumont. Quand on vieillit, le sommeil devient plus fragile et l’horloge biologique tend à rendre les personnes plus matinales, ce qui augmente les conséquences néfastes du travail de nuit.»
Certaines maladies sont associées à un manque de sommeil chronique chez les travailleurs de nuit. D’une part, il dérègle le métabolisme et peut entraîner une prise de poids, une résistance à l’insuline et des troubles cardiovasculaires. D’autre part, le manque de sommeil chronique peut atténuer les fonctions cognitives, et les perturbations de l’horloge biologique peuvent favoriser l’apparition de certains cancers.
De même, les travailleurs de nuit sont plus susceptibles de souffrir d’isolement social.
«Mais le risque le plus fréquent est lié aux accidents de la route… lorsque ces personnes retournent chez elles après leur quart de travail, en raison de la somnolence qui les gagne», spécifie la professeure.
Selon elle, maintenir de saines habitudes de vie est «encore plus important pour la santé de ces travailleurs que pour la population en général, en raison de leur exposition accrue aux risques associés au manque de sommeil chronique».
Mais tout n’est pas sombre pour autant.
«Le travail de nuit comporte aussi des avantages: il s’accompagne souvent de plus de responsabilités, la supervision est moins grande et il favorise une belle camaraderie, énumère Marie Dumont de façon non exhaustive. De plus, le travailleur de nuit subit moins de congestion routière, il peut se rendre plus facilement à ses rendez-vous le jour et s’occuper davantage de ses enfants d’âge préscolaire.»
Une carrière à étudier l’horloge biologique
Marie Dumont a rencontré un nombre impressionnant de travailleurs et de travailleuses de nuit au cours de sa carrière de chercheuse et professeure.
Dès ses recherches doctorales effectuées dans les années 80, elle a eu à interviewer 426 infirmières de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal!
Elle avait alors découvert que les infirmières qui éprouvaient le moins de problèmes de sommeil étaient celles qui travaillaient de nuit depuis plus de 10 ans. «Elles avaient même un meilleur sommeil que les infirmières de jour! C’était des personnes particulièrement robustes, mais malheureusement très peu nombreuses.»
La professeure a aussi souvent prononcé des conférences devant des travailleurs de nuit, au début ou à la fin de leur quart de travail. «On ne rencontre pas des travailleurs de nuit le jour!» dit-elle sur un ton amusé. C’est pourquoi elle estime qu’un outil en ligne, accessible en tout temps, est particulièrement bien adapté à cette population de salariés.
Marie Dumont soutient que l’outil «Mieux vivre le travail de nuit» – qu’elle a élaboré au fil des trois dernières années avec la collaboration de l’équipe pédagogique Le-Cours – lui permet de «boucler la boucle»…
Elle omet de dire qu’il fera perdurer les retombées de ses travaux!
Martin Lasalle