Les adolescentes sont plus susceptibles de vivre de l’anxiété momentanée lorsque les filles de leur classe sont anxieuses, mais ce n’est pas le cas chez les garçons, selon une chercheuse de l’UdeM.
Il est reconnu qu’à l’adolescence les jeunes tendent à adopter les mêmes comportements que leurs pairs. Sachant qu’au Canada ils passent en moyenne 923 heures par année scolaire entourés de leurs collègues de classe, Sandrine Charbonneau a voulu vérifier si l’anxiété d’état – ou momentanée – ressentie par un élève peut être associée à l’anxiété de trait de ses camarades de classe.
Selon les résultats de ses travaux de maîtrise, effectués au Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal sous la direction de la professeure Sonia Lupien, cette association existe pour les filles, mais pas pour les garçons.
Ses résultats, qui ont été publiés dans l’International Journal of Environmental Research and Public Health, ont été obtenus à partir de données recueillies par Audrey-Ann Journault dans le cadre de son doctorat qui visait à comprendre la nature de l’anxiété vécue par les jeunes à l’école de même que les éléments pouvant y contribuer tels que les facteurs parentaux, scolaires et individuels.
Globalement, Sandrine Charbonneau a colligé les données contenues dans les questionnaires remplis en classe par plus de 1400 filles et garçons de six écoles primaires et de sept écoles secondaires du Centre de services scolaire des Affluents, sur la rive nord de Montréal. Les élèves ont répondu aux questionnaires en 5e et en 6e année du primaire ainsi qu’en 4e et en 5e secondaire.
Le modèle d’anxiété état-trait comme outil d’analyse
Pour mener son projet à terme, la chercheuse a effectué une analyse basée sur le modèle d’anxiété état-trait élaboré par le psychologue américain Charles Spielberger en 1988.
Ce modèle distingue deux types d’anxiété:
- l’état anxieux ou anxiété d’état, qui est une émotion de durée passagère qui fluctue selon les stimulus de l’environnement perçus comme menaçants. Il s’accompagne de manifestations physiques telles que des sueurs, une respiration accélérée, des maux de ventre, etc., sur une courte période;
- l’anxiété de trait, soit un trait de personnalité – ou une caractéristique intrinsèque de la personne – pouvant mener à percevoir différentes situations scolaires comme des menaces. Un élève avec un trait anxieux a tendance à vivre plus d’états anxieux à l’école.
Elle est ainsi parvenue à évaluer l’effet du trait anxieux de collègues de classe sur l’état anxieux d’un élève à l’école. Elle a aussi vérifié si l’effet de l’anxiété des camarades de classe était différent pour les filles et pour les garçons des écoles primaires et secondaires.
L’effet de l’anxiété de trait
Les résultats indiquent qu’il existe, chez les filles seulement, une association entre l’anxiété d’état d’une fille et l’anxiété de trait des autres filles de la classe.
En d’autres termes, le trait anxieux des filles dans une classe semble avoir un effet uniquement sur l’état anxieux des filles et non des garçons.
«Concrètement si, d’une année à l’autre, l’anxiété de trait moyenne des filles de la classe augmente de 5 points sur une échelle de 1 à 10, le niveau individuel d’anxiété d’état d’une fille augmente de 2 points d’anxiété comparativement aux garçons, chez qui cette augmentation n’est que de 0,3 point», illustre Sandrine Charbonneau.
Et l’effet ne semble pas différent selon l’âge de l’élève, puisque l’association entre l’anxiété d’état d’un élève et l’anxiété de trait des collègues de classe est similaire tant pour les élèves du primaire que pour ceux du secondaire.
Existe-t-il une différence entre les élèves qui fréquentent une école privée ou publique? Cet aspect ne faisait pas partie de l’analyse de Sandrine Charbonneau, mais Audrey-Ann Journault, dont les travaux abordent le sujet, a une réponse à cette question.
«Mes résultats de doctorat montrent que les jeunes du réseau public sont plus susceptibles de vivre de l’anxiété, comparativement à ceux du privé. Cela va à l’encontre des idées reçues, mais ils concordent avec les résultats d’autres études, mentionne-t-elle. L’hypothèse qui pourrait expliquer ce phénomène est que les jeunes qui ont plus de difficulté à obtenir les notes de passage sont plus à risque d’être anxieux.»
Pourquoi les filles et pas les garçons? Le rôle de la corumination
L’étude de Sandrine Charbonneau est parmi les premières à démontrer que les collègues de classe peuvent avoir un effet sur l’état anxieux d’un élève et que les filles et les garçons réagissent différemment à l’anxiété de leurs pairs.
Toutefois, puisqu’il s’agit d’une littérature scientifique nouvelle, il est difficile d’expliquer pourquoi seules les filles sont sensibles à l’anxiété des autres filles de leur classe.
Dans son article, la chercheuse émet quelques hypothèses.
«Il est admis dans la littérature scientifique que les filles expriment plus d’anxiété que les garçons et il est également possible que les filles expriment plus leur anxiété parce qu’elles sont socialisées pour exprimer les émotions, à l’inverse des garçons», soumet-elle dans un premier temps.
Ensuite, elle avance qu’en général les filles «ont plus de facilité que les garçons à détecter les émotions des autres» et que, étant donné que les interactions les plus fréquentes à l’adolescence sont avec les pairs de même sexe, «l’affiliation face à un stresseur et la corumination sont deux caractéristiques qui peuvent être directement en lien avec les résultats obtenus».
Selon les études qu’elle a parcourues, les filles ont ainsi tendance à s’affilier lorsqu’elles sont face à des situations stressantes, contrairement aux garçons. «Et une fois affiliées, elles sont enclines à parler plus intensément de leurs problèmes et de leurs émotions négatives, un phénomène appelé corumination, conclut-elle. Les jeunes qui coruminent tendent à partager constamment leurs préoccupations sans y apporter de réponses concrètes.»
Vivre de l’anxiété à l’école, c’est normal!
L’anxiété est une réaction qui est normale: tout le monde vit des états anxieux selon les situations de la vie. Les résultats des travaux récents d’Audrey-Ann Journault révèlent que 78 % des jeunes vivent de l’anxiété dite «normale», c’est-à-dire qu’elle n’empêche pas un jeune de fonctionner au quotidien.
«Puisqu’on parle souvent dans les médias des troubles anxieux, on peut en venir à croire que tous les jeunes en souffrent et cela peut aussi mener les jeunes à avoir peur d’être anxieux, nuance Audrey-Ann Journault. Or, la manifestation de l’anxiété momentanée est tout à fait normale et il ne faut pas la diaboliser.»
Pour sa collègue Sandrine Charbonneau, la distinction entre l’anxiété d’état et l’anxiété de trait est importante, car elle «permet de guider les interventions dans les écoles et d’outiller le personnel enseignant pour qu’il communique mieux avec les jeunes en validant les émotions qu’ils ressentent, plutôt que de les invalider en leur disant de ne pas stresser face à une situation qui les stresse!»