Drames violents et mortels : quand le cerveau déraille.

17 avril 2023

La violence inouïe qui caractérise les événements tragiques perpétrés par Pierre Ny St-Amand, 51 ans, dans le quartier Sainte-Rose de Laval, Steeve Gagnon, 38 ans, à Amqui, et Arthur Galarneau, 19 ans, dans le quartier Rosemont de Montréal,indique que, vraisemblablement, le cerveau de ces individus déraillait au moment des faits.

Diverses pathologies du cerveau ont pu conduire à ces drames qui dépassent l’entendement. « Ces trois cas semblent très différents les uns des autres », affirme d’entrée de jeu la Dre Stéphanie Borduas-Pagé, médecin psychiatre légiste, cheffe médicale du service de psychiatrie légale à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.

Plusieurs affections, telles que la schizophrénie, la psychose toxique, le trouble bipolaire, la dépression, voire des troubles plus organiques, comme une tumeur cérébrale, une encéphalite ou une démence, peuvent provoquer des symptômes psychotiques où la personne peut perdre tout contact avec la réalité et être envahie par des hallucinations et des idées délirantes susceptibles d’induire un comportement désorganisé, voire violent, fait remarquer la Dre Borduas-Pagé.

Celle-ci insiste sur le fait que « la majorité des personnes atteintes de schizophrénie ou d’une autre de ces pathologies ne présentent pas de risque de comportements violents quand elles sont suivies, traitées et que leurs symptômes sont bien contrôlés ».

« Ce sont plutôt les symptômes aigus et actifs [qui se manifestent quand la personne n’est pas suivie ou ne prend pas sa médication] qui sont susceptibles d’induire des gestes violents. Un patient schizophrène [qui vit un épisode psychotique] peut être convaincu que sa vie est en danger et que les gens essaient de contrôler ses pensées et ses actions. Il vit alors une détresse tellement grande qu’il pourra éprouver le besoin de se défendre contre cette menace qu’il perçoit. Il pourra aussi avoir des hallucinations qui lui ordonnent de commettre des gestes envers les autres, mais aussi envers lui, car environ 10 % des schizophrènes vont mourir par suicide », explique la professeure de clinique au Département de psychiatrie et addictologie de l’Université de Montréal.

Toutefois, il n’est d’aucune façon possible d’affirmer à l’heure actuelle si les trois individus responsables des drames de Sainte-Rose, d’Amqui et de Rosemont étaient atteints de l’une ou l’autre de ces pathologies. Ce sont les psychiatres légistes qui étudient ces cas qui auront la délicate tâche de déterminer si ces trois personnes ont commis leur crime consciemment et intentionnellement ou si elles n’étaient pas en mesure d’apprécier la nature de leurs gestes, à savoir s’ils étaient bons ou mauvais, en raison d’une pathologie cérébrale non traitée.

On peut toutefois avancer que le jeune homme qui a poignardé trois membres de sa famille dans Rosemont souffrait peut-être d’une psychose découlant d’une pathologie psychiatrique au moment où il a perpétré trois meurtres violents, étant donné qu’il avait déjà été suivi pour des problèmes de santé mentale.

La consommation de drogues, telles que la cocaïne, l’amphétamine, la méthamphétamine, le crack et ses dérivés, voire le cannabis et l’alcool, peut parfois entraîner des symptômes psychotiques. On parle alors de psychose toxique. « Ces drogues sont souvent consommées pour leurs effets sur le cerveau, altèrent notamment la fonction des lobes frontaux qui sont très liés au comportement et à la motivation. Notre capacité à contrôler nos impulsions, à les garder à l’intérieur d’une certaine limite, tout ça est géré par les lobes frontaux. Tout ce qui peut conduire à un déséquilibre au niveau de ces lobes frontaux peut induire des comportements étranges, ou extrêmes, ou incontrôlés. La personne peut devenir très désinhibée, inappropriée, et prendre des décisions qui ne sont pas fondées sur la réalité et qui ne sont pas en adéquation avec les normes sociales », souligne le Dr Étienne de Villers-Sidani, neurologue au Neuro (Institut-Hôpital neurologique de Montréal).

« Contrairement à la schizophrénie, qui est une maladie chronique qui apparaît de façon insidieuse à un assez jeune âge, une psychose toxique peut survenir subitement, ajoute la Dre Borduas-Pagé. La psychose et l’effet de la substance en soi peuvent augmenter l’irritabilité, diminuer les capacités à gérer sa colère, à s’inhiber. […] Qu’on ait un diagnostic de maladie mentale ou non, la consommation de substances va augmenter le risque de violence. »

La psychose toxique apparaît donc comme un diagnostic possible pour Steeve Gagnon, d’Amqui, étant donné qu’il ne semblait pas avoir d’antécédents psychiatriques.

Des troubles organiques du cerveau, tels qu’une tumeur cérébrale au lobe frontal, une encéphalite, une épilepsie temporale, un accident vasculaire cérébral, un traumatisme crânien important, une démence, un trouble de stress post-traumatique non traité et accompagné de consommation d’alcool ou de cannabis peuvent aussi engendrer des changements de comportement et une période de confusion et de désorganisation susceptibles de conduire à des gestes de violence, souligne la Dre Borduas-Pagé.

« Quand [des gestes d’une grande violence] surviennent dans un ciel bleu, par exemple, chez quelqu’un qui n’a aucun antécédent de violence, qui fonctionnait assez bien et que [ces gestes] apparaissent de façon tout à fait inattendue à un âge moins typique — psychotique à 50 ans, c’est un peu tardif —, nous considérons [des troubles plus organiques] qu’une schizophrénie », relève-t-elle.

Ce qui pourrait s’appliquer au cas de Pierre Ny St-Amand, âgé de 51 ans, qui, au volant d’un autobus, a embouti une garderie à Sainte-Rose et est ensuite entré dans l’établissement où il s’est complètement dénudé en hurlant.

L’encéphalite auto-immune est une pathologie qui peut induire un syndrome psychiatrique, signale le Dr de Villers-Sidani, tout en avançant l’hypothèse que M. St-Amand ait pu être atteint d’une telle affection lors de son crime.

L’encéphalite est une inflammation du cerveau qui peut être causée par un virus ou par une réaction auto-immune. « Classiquement, une personne qui fait une encéphalite virale a mal à la tête, fait de la fièvre, est léthargique et fatiguée. Dans des cas plus graves, il peut y avoir des signes neurologiques focaux : une paralysie, une crise d’épilepsie, une convulsion, la personne peut être confuse,agitée. Mais en général, la personne est trop mal en point pour continuer de fonctionner, comme conduire un autobus », décrit le neurologue.

L’encéphalite auto-immune est, quant à elle, une inflammation très localisée du cerveau causée par des anticorps produits par le corps. « Un cancer dans une autre partie du corps peut générer une réaction auto-immune qui induit la production d’anticorps qui iront cibler certaines régions spécifiques du cerveau. On voit souvent les anticorps s’attaquer ou irriter les lobes frontaux et le système limbique, qui est le siège des émotions. Cette irritation peut accroître les impulsions, les dérégler ou les rendre inappropriées. Ce qui peut mener à des comportements erratiques, voire violents », indique le spécialiste.

Souvent, le cancer peut être très petit et ne pas causer d’autres problèmes ailleurs. La première manifestation est alors un syndrome psychiatrique : la personne n’est pas elle-même. Sa personnalité a changé, son comportement peut être imprévisible.

Cette irritation des lobes frontaux et temporaux peut aussi créer de petits foyers épileptiques. Des convulsions, des crises d’épilepsie peuvent donc être aussi un signe avant-coureur. Or, l’épilepsie temporale, soit dans le système limbique, qui est très connecté avec le lobe frontal, peut induire une psychose qui peut durer plusieurs jours, plusieurs semaines.

Les anticorps interfèrent avec la fonction du cerveau, mais ne causent pas nécessairement un dommage très clair, souligne le Dr de Villers-Sidani. Rien d’anormal n’apparaît à la résonance magnétique, à l’exception peut-être de petits signes d’inflammation. « Pour établir le diagnostic, on peut procéder à des prises de sang visant à détecter la présence de certains anticorps qui visent le cerveau, et on doit faire de l’imagerie plus poussée de tout le corps pour trouver le signe d’un petit cancer qui serait caché quelque part et qui aurait généré cette réaction auto-immune. Cela peut prendre parfois plusieurs semaines avant de s’assurer du diagnostic. »

En général, le meilleur traitement consiste à enlever le cancer qui stimule la production d’anticorps. Si on ne le trouve pas, il faut alors faire de l’immunomodulation pour aider la personne à revenir à la normale.

Les démences fronto-temporales entraînent aussi un changement de personnalité qui peut entraîner des comportements imprévisibles en raison d’une dégénérescence de certains circuits des lobes frontaux et temporaux. « Mais ce changement est plus graduel. Le fait de passer subitement d’un état normal à un état erratique, comme cela semble être arrivé pour M. St-Amand, pourrait avoir été causé par une psychose toxique ou par un processus plus pathologique comme une encéphalite auto-immune », avance le Dr de Villers-Sidani.


Précision: La première version de ce texte a été modifiée car elle ne marquait pas de manière suffisamment claire le caractère hypothétique des pathologies des auteurs présumés des tragédies de Rosemont, Amqui et Sainte-Rose.

Source : Des pathologies du cerveau ont pu conduire aux drames de Sainte-Rose, d’Amqui et de Rosemont | Le Devoir