Assister à la mort de son père tout en subissant des commentaires racistes, le médecin résident Wolf Thyma l’a vécu en 2019. Et il ne souhaite ça à personne. Avec une équipe de la clinique juridique de Saint-Michel, il lance un projet pour contrer le racisme médical — le premier du genre au Québec, selon lui.
« Je suis arrivé au Québec à l’âge de 8 ans. De la discrimination et du racisme, j’en avais vécu auparavant. Mais là, j’étais absolument terrifié », témoigne Wolf Thyma au bout du fil.
Vendredi soir, ce médecin résident en psychiatrie de l’Université de Montréal se trouvait à la TOHU, dans le quartier Saint-Michel. Il a accepté de livrer son histoire sur la place publique. Il n’est pas le seul.
Ça s’est passé en 2019, alors que son père était hospitalisé avec une forte fièvre. M. Thyma, déjà étudiant en médecine, affirme qu’il a dû insister pour qu’on prenne l’état de son père au sérieux au triage.
L’infirmière s’est éloignée et a dit à un ambulancier : « Avec ce monde-là, c’est tout le temps la fin du monde. C’est juste une petite grippe. » Mais cet ambulancier, c’était mon beau-frère.
-Wolf Thyma, médecin résident
« C’est comme si on n’était pas des êtres humains »
Le pire était toutefois à venir, prévient-il. Son père a été hospitalisé et semblait reprendre du mieux. Mais son état s’est soudainement aggravé. M. Thyma et sa mère ont été rappelés d’urgence à son chevet. L’homme, qui n’avait pas 60 ans, était en arrêt cardiorespiratoire.
La mère de M. Thyma est tombée à genoux, en criant et en pleurant. « L’infirmière a dit : “ Ça suffit, je ne veux plus entendre un mot. Vous autres, vous vous croyez tout permis. ” Elle menaçait d’appeler la sécurité si ma mère n’arrêtait pas de pleurer fort », dénonce M. Thyma.
Quatre ans plus tard, le jeune médecin est encore ébranlé. « Comment est-ce que je me sentais ? C’est difficile à dire parce que là, d’un seul coup, je venais d’apprendre que mon père – à qui j’avais parlé deux heures auparavant – venait de décéder. Et je venais de m’excuser du fait que ma mère pleurait. »
« C’est comme si on n’était pas des êtres humains. » -Wolf Thyma, médecin résident
Sensibiliser et aider
La mort de Joyce Echaquan, cette mère atikamekw morte sous les insultes racistes à l’hôpital de Joliette en 2020, a été l’élément déclencheur de ce projet sur le racisme médical, chapeauté par la Clinique juridique de Saint-Michel. Il s’agit de la première initiative du genre au Québec, selon l’organisation.
« On s’est rendu compte qu’il y a très peu d’informations sur ce sujet-là, et je trouvais important de redonner une voix aux [victimes] », explique la coordonnatrice du projet Wafaa Ghlamallah.
L’initiative comprend trois volets. Le premier vise l’éducation et la sensibilisation. Des dépliants ont été conçus et seront distribués dans les organismes et établissements de santé. L’équipe prévoit aussi un ouvrage pour documenter le phénomène, ajoute Mme Ghlamallah, elle-même étudiante en droit à l’Université de Montréal.
Dans un autre volet, des récits ont été recueillis et présentés sous forme d’exposition à la TOHU, vendredi soir. « Ça a été un grand défi d’aller chercher les témoignages », s’étonne encore Mme Ghlamallah.
« Ce sont des évènements [que les victimes] veulent oublier, qui ont été très douloureux. Et elles ont l’impression qu’elles ne sont pas comprises. » -Wafaa Ghlamallah, coordonnatrice du projet
Le dernier volet prévoit offrir de l’accompagnement juridique et psychologique aux personnes qui estiment avoir subi du racisme médical. Si l’organisme réussit à assurer son financement, cette assistance devrait être offerte à l’automne ou l’hiver 2023. Le service sera ouvert à la population à travers le Québec.
Le projet a déjà reçu une bourse de 5000 $ de Québec solidaire et une autre de 10 000 $ de l’Observatoire des profilages. Une somme supplémentaire de 75 000 $ est nécessaire pour la mise sur pied de l’initiative, estime Mme Ghlamallah.
« On veut rétablir le lien de confiance »
L’objectif du projet n’est pas de rejeter la faute sur le personnel de la santé, insistent les deux porte-parole.
« La très très grande majorité de mes collègues, ce sont des personnes phénoménales qui font un travail irréprochable, soutient M. Thyma. Mais malheureusement, il existe des personnes – comme cette infirmière – qui ne devraient pas soigner. »
Selon lui, les compétences culturelles devraient faire partie de la formation des professionnels de la santé. « C’est trop important, et les conséquences sont trop graves », soutient-il.
« On n’est pas là pour faire des reproches au système de santé, pour dire [que les soignants] sont racistes, renchérit Mme Ghlamallah. C’est très important. On veut créer une réconciliation, rétablir le lien de confiance et ouvrir cette discussion collective. »